" Du pain et des roses "
Le 8 mars 2009 prendra cette année dans le monde une résonance
particulière. Ce sera l’occasion certes de réfléchir sur la longue
marche des femmes dans leur lutte pour l’égalité des chances et
l’équité des genres. Ce sera aussi l’occasion de prendre acte de la
vacuité d’un certain modèle égoïste d’accumulation et de faire place
enfin à des idées novatrices pour changer la vie et les rapports
humains sur notre planète fragilisée.
D’Olympe de Gourges à Annie Lo
Pizzo en passant par Mother Jones, pour ne citer que quelques figures
emblématiques, le mouvement mondial des femmes porte en germe un projet
de société à jamais différé et marginalisé par un certain ordre du
monde figé dans ses certitudes hiérarchiques et matérielles.
La
crise actuelle est le moment ou jamais de réfléchir non seulement à des
formes plus soft de croissance, mais surtout d’innover sur le plan
d’une nouvelle éthique du travail et des relations inter-personnelles.
De se doter d’une nouvelle morale en ces temps d’épuisement des valeurs
dans nos sociétés trop longtemps dominées par la logique du plus fort
et des égoïsmes totalisants. La crise s’accompagne certes de grandes
peurs et un dernier rapport d’un groupe d’experts européens est venu
nous mettre en garde contre des risques d’émeutes et de guerres civiles
au sein même des pays les plus avancés. Mais elle peut être aussi
l’occasion d’opportunités nouvelles et de manifestation triomphante de
la créativité humaine pour de nouvelles utopies politiques et
écologiques, loin du réalisme écrasant du tout marché ou du
paternalisme paralysant d’un quelconque État Léviathan paré des
couleurs affriolantes d’un « socialisme » d’autant plus ludique que
fantasmé.
Il est sûrement venu le temps des ruptures et le processus
historique participe de crises de croissance et d’arrachement au connu
pour évoluer vers des formes innovantes qui ne manqueront pas de
rentrer en conflit avec les forces puissantes du statu quo qui
travaillent déjà à l’endiguement des énergies novatrices.
La «
marche mondiale des femmes » appartient à ces facteurs qui peuvent
peser sur les changements à venir en libérant, avec le support des
hommes amis du progrès, plus de la moitié d’une humanité enchaînée par
des préjugés millénaires et têtus. La violence et le harcèlement moral
et ou sexuel constitue une constante qui continue d’avilir et de «
trivialiser » les relations entre les sexes sur tous les continents.
Quand ce n’est pas la violence absurde et rampante, telle que vécue ces
jours-ci par les femmes salvadoriennes et qui a été rendue de manière
poignante le dimanche 1er mars par un reportage de la chaîne émettant
en espagnol Univision.
De plus en plus de cadavres de femmes
exécutées et torturées jonchent les routes de ce pays frère d’Amérique
centrale marqué au fer rouge par une violence fatale et les
statistiques de meurtres des femmes ont atteint le chiffre insoutenable
de 200 pour cent.
Chez nous, le chemin est encore très long et
malaisé, le changement se mesure plus nettement dans le discours
officiel et médiatique conquis progressivement par les organisations
féminines. Du cri primal des revendications partant dans tous les sens
en passant chez certains groupes plus radicaux à une assimilation du
mal au « mâle », le discours féministe, chaque jour plus combatif,
s’est fait plus pédagogique, plus persuasif et suscite un nombre
grandissant d’adhésions masculines. Sur le terrain miné des luttes
sociales et civiques, les différentes branches et associations du grand
flamboyant féministe font désormais rougeoyer l’avenir et acquièrent
expérience et maturité dans une lutte à la fois ingrate et exaltante de
libération des mentalités des deux sexes.
Il faut signaler
l’entêtement de l’actuelle ministre à la Condition féminine, Mme Marie
Laurence Jocelyn Lassègue, la Pasionaria du mouvement des femmes
haïtiennes, qui laisse peu à peu la petite bourgeoisie « éclairée et
avant-gardiste » pour se répandre dans la campagne profonde aux
réalités complexes et multiples.
En vérité le 8 mars est l’occasion
de réfléchir à notre avenir immédiat comme nous l’invite à le faire
Jean-Claude Bajeux dans un article publié le lundi 2 mars dans nos
colonnes.
Au moment où nous approchons de nos saisons habituelles
de turbulences météorologiques et politiques, il faut donc franchir
avec prudence les nombreux « kalfou danjere » qui jalonnent une année
de tous les dangers. N’est-ce pas qu’un certain discours politique se
fait de plus en plus négationniste et que l’Université affiche un «
avis de tempête ». Pourvu que nous sachions négocier avec maturité et
justesse « les virages glissants » d’une conjoncture qui s’annonce
boueuse.
« Nous sommes les femmes de trop de morts », s’exclame
une héroïne du dernier roman « La couleur de l’aube » de Yanick Lahens.
La meilleure façon de célébrer les femmes est de traverser, dans la
paix et la vigilance, une année 2009 où le « ciel bas et lourd pèse
déjà comme un couvercle ».
Roody Edmé