Déraison d’État ?
Les digues maintenues tant bien que mal ces derniers mois et qui nous
avaient valu une certaine stabilité politique menacent de rompre, suite
aux dernières élections. Pouvait-on ne pas les avoir , comme semblent
le crier sur tous les toits ceux qui toujours avaient tout prévu…Il y
avait pourtant un Parlement fragilisé et dont le quorum ne tenait qu’à
un fil. Et alors, il y avait un agenda d’État dont on ne pouvait faire
l’économie, sous peine de crise. Et d’ailleurs, le Pouvoir était
suspecté de laisser traîner le processus aux fins dernières de rendre
caduc le Parlement. Ergo, il fallait donc ces élections et les
principaux partis politiques s’y étaient engagés.
La non
participation populaire à ces joutes électorales a complètement changé
la donne. Les partis politiques se sont retrouvés à se disputer la
portion congrue d’un électorat inexistant. Et il y eut si peu de
votants que la tentation de « coup de force » a existé ici et là. Quand
l’électorat est absent, le champ est ouvert pour toutes les manœuvres
politiques et c’est encore le peuple, le grand absent qui aura une fois
de plus à essuyer les plâtres.
Le bouillon est tiré, mais pas au
goût des principaux convives qui ont quitté précipitamment la table. Le
président lui-même, pressé de mettre fin à des agapes si peu
populaires, a presque fermé la porte au nez et à la barbe de certains
invités, sans les laisser le temps de digérer ou de deviser sur la «
cuisine » du Palais.
Du coup, l’air est rempli de menaces et
certains ténors de l’opposition qui avaient, il faut l’admettre, joué à
fond la carte du dialogue et de la collaboration piquent une «
gastrique » et ne décolèrent pas. Les mesures de rétorsion sont
annoncées et les écluses qui jusqu’ici aidaient à maintenir les digues
en place pourraient se fermer.
Le clair-obscur de ces derniers mois
risque de disparaître pour laisser la place à une éclipse totale, si
les barrages institutionnels annoncés sont dressés sans discernement.
Et si le Parlement est rendu non fonctionnel, « se kouri pou lapli,
tonbe nan gran rivyè ».
La population risque donc de faire les frais de ce que l’on appelle chez nous un « kont mal taye ».
Le
landernau politique bruit de toutes sortes de scénarios et les théories
sur le complot d’État abondent, les appels à la « résistance » se
multiplient. La normalisation de nos institutions apparaît d’un coup
comme un horizon indépassable…tout se passe comme si nous avions un
problème dans la gestion du temps politique. Ou nous accumulons les
délais ou nous accélérons brusquement quand il s’agit de proclamer les
résultats. Tout cela peut déconcerter les acteurs et nourrir les idées
noires des uns et des autres.
Heureusement que certains partis
politiques annoncent que le « boycott » ne sera que ponctuel et que sur
certains dossiers fondamentaux, les élus feront leur travail. C’est de
bonne guerre, que cette « grève parlementaire » tienne compte du
service public, en attendant un règlement du conflit postélectoral. Il
y a tant à faire sur le plan des urgences nationales qui « griffent »
aux portes du Parlement.
Vous savez, les rivalités politiques ne
sont pas plus dures ici qu’ailleurs…c’est seulement qu’ici, nous
n’avons pas toujours les moyens de certaines actions, compte tenu de la
débilité de notre économie.
Et tel l’oiseau de Minerve, nos politiques prennent souvent leur envol trop tard.
Roody Edmé