Faire flotter notre drapeau
Le président des États-Unis, Barak Obama, a récemment salué, à
l’occasion du 18 mai, la contribution historique des Haïtiens à
l’Histoire de ce continent et de celle de l’humanité (Le Matin, 19
mai). Cette déclaration mérite que l’on s’y arrête un moment, car il
n’est pas courant que des chefs d’État étrangers reconnaissent l’apport
des Haïtiens à la lutte pour l’émancipation des peuples ou pour le
développement de leurs terres d’accueil. Et, sauf erreur, il nous
semble que c’est la première fois qu’une telle initiative vient d’un
président américain.
Nous avions relevé, dans un éditorial, des
déclarations dans ce sens du président Chavez qui était plutôt
l’exception qui confirmait cette amnésie historique savamment
entretenue autour de nous. Une propagande anti-haïtienne fait tant et
si bien que l’on ne retient de notre pays que les clichés
misérabilistes et nous sommes devenus un contre-exemple qui excite la
curiosité des « anthropologues de la faim » qui nous observent comme si
nous étions piqués par une mouche appelée fatalité. Un artiste
martiniquais disait récemment comment son enfance a été marquée par les
images terribles de la géographie du pire enseignées à dessein et qui
avaient pour noms Haïti et le Biafra ; c’était déjà dans les années 60.
On
ne disait pas à l’époque que les régimes brutaux et ubuesques, qui
provoquaient les sarcasmes des journalistes occidentaux, étaient
entretenus par de puissants intérêts étrangers. Et que des mercenaires
célèbres travaillaient clandestinement, en service commandé par de
grandes démocraties, à les faire durer en venant faire le coup de feu
sur nos terres lointaines.
Si les républiques bananières existent,
c’est en raison d’une division internationale du travail où chaque pays
a un « numéro » qui lui est assigné dans la grande chaîne mondiale de
production. Tout cela ne nous enlève nullement notre part de
responsabilité : « sòt ki bay… ». Mais il faut, de temps en temps,
remettre les pendules à l’heure d’une certaine histoire peu clémente
dans ses rapports de force écrasants, ne serait-ce que pour rendre tout
leur mérite à ceux qui, du haut de leur toute puissance, ont assez
d’humilité pour reconnaître qu’on a toujours besoin d’un plus petit que
soi, surtout si ce petit ne l’est que par la puissance matérielle et
grand par la force humaniste de ses accomplissements.
Le président
américain n’a pas seulement évoqué Savannah, lieu mythique où les
combattants de Saint-Domingue (Haïti en 1804) se sont illustrés sous le
commandement du général Lafayette ; il n’est pas resté dans le passé en
dépit de ses heures de gloire pour nos deux peuples. Il a mentionné le
travail au quotidien de nos milliers d’expatriés qui contribuent chaque
jour à la grandeur de l’Amérique. Ils sont, ces expatriés, partout dans
cette grouillante société américaine à contribuer, aux côtés d’autres
immigrants, à faire battre le cœur de la république étoilée. Ils
brillent aussi dans les étoiles du drapeau américain, symbole de terre
d’accueil et de pays de « moun vini». Ils sont des centaines dans le
milieu de la recherche universitaire pointue, comme le jeune Marc
Dandin Fischell Fellow de l’Université de Mayriland, qui travaille sur
un mini-labo de détection des virus de toute taille allant de celui du
choléra au salmonelle qui tuent des milliers de gens aux USA seulement,
sans parler des pays du Sud. Ce détecteur de virus portatif a
l’avantage d’être à la portée des populations les plus vulnérables. Il
n’est que d’attendre sa commercialisation. Ce jeune bio-ingénieur
haïtien travaille aussi sur des puces électroniques révolutionnaires
qui ont la plus haute attention de son Université. Mais ce n’est qu’un
exemple parmi toute la phalange de chercheurs émérites et de jeunes
cerveaux qui, s’ils étaient indiens ou chinois, seraient déjà
connectés, d’une manière ou d’une autre, à leur pays d’origine.
Le
président Obama a donc posé un acte historique en reconnaissant la
contribution de cette grande diaspora de techniciens, d’artisans, de
commerçants, de chauffeurs de taxi, de savants peu connus dans leur
pays d’origine…qui font flotter notre drapeau et qui brisent le mythe
de peuple fainéant. Une diaspora laborieuse et forte qui peut aussi
contribuer au renouveau du pays natal, si nous y pensons enfin
sérieusement.
Roody Edmé