" Les dents de la mer "
Depuis quelque temps, le golfe d’Aden est l’un des coins les plus
risqués de la planète. Pas une semaine sans qu’un bateau marchand ne se
fasse « harponner » par des pirates partis des côtes de Somalie.
L’océan indien est désormais plein de menaces ; le grand bleu cache,
sous une imperturbabilité apparente, des guets-apens d’un autre âge.
Les
marins, qui, dans leur périple, frôlent les côtes somaliennes, se
frottent à la Corne la plus aiguë de l’Afrique. Et, dans les ports
avoisinants, cette « mare nostrum » des corsaires du 21e siècle, se
répandent de loin en loin les terribles aventures de ces nouveaux
chasseurs de butin qui écument les rives du continent. Le rayon
d’action ne cesse dangereusement de s’agrandir jusqu’à menacer des
convois maritimes qui viennent de la riche Méditerranée.
Tankers
transportant du pétrole, grands navires de transport des flottes du
monde, bateaux de plaisance, tous sont soumis à l’abordage soudain des
vedettes remplies de pirates qui connaissent, comme leurs poches, les
moindres couloirs de la mer. Les marines de guerre occidentale, dans un
affrontement asymétrique qui profite aux plus faibles, tentent de faire
échec à une entreprise juteuse et interlope qui affecte sérieusement la
circulation maritime dans la zone et gêne considérablement la
circulation des biens.
La vérité est que ce désastre marin
mobile et insaisissable est une excroissance du grand mal somalien, une
société ruinée par une interminable guerre civile. Les seigneurs de la
guerre, à force de se battre pour le pouvoir, ont fini par rendre le
pays complètement exsangue. La Somalie est couchée comme une vieille
carcasse dans le désert et il ne reste que la …mer.
Il se trouve
que les fonds marins du golfe d’Aden regorgent de pièges mortels, de
tonnes de déchets abandonnés par des compagnies sans scrupules, suite à
un accord avec l’un des nombreux chefs de guerre que compte le pays. La
Somalie naufragée est vendue « an detay » par ses enfants aux appétits
sanguinaires. Le pire est que ces massacres et autres guerres civiles
non révolutionnaires portent le maquillage grossier de luttes de
libération et de je ne sais quelle cause patriotique ou religieuse.
L’Histoire a montré qu’ici ou ailleurs, des formes de suicide collectif
ou de folies meurtrières portent les guirlandes de causes nobles et
finissent toujours par conduire les nations dans des décharges
réservées aux « États faillis ».
Les produits toxiques répandus
sur les côtes de Somalie ont percé les entrailles d’une des mers les
plus généreuses du monde et l’ont rendue stérile. Et alors de
pacifiques pêcheurs de poissons se sont métamorphosés en de redoutables
chasseurs d’hommes…et sont aujourd’hui les émules, plusieurs siècles
plus tard, de Sir Francis Drake et autres frères de la côte.
Le
conflit somalien, produit de rivalités claniques et transclaniques, est
rendu plus confus par une communauté internationale d’autant plus
divisée sur la question qu’elle pratique vis-à-vis de ce pays un
service minimum diplomatique à force de ne plus savoir quelle faction
soutenir l’une contre l’autre.
La désagrégation du lien social
et l’implosion de l’État conduisent aux pires dérives et la Somalie
devient un douloureux cas d’école qui doit faire réfléchir plus d’un.
La
Somalie refuse d’être un conflit oublié et son mal, nourri par les
conflits internes et les convoitises externes, gagne l’Océan indien et
peut devenir un des plus grands défis du 21e siècle.
Et un
artiste somalien en exil d’affirmer que, malheureusement dans le cas
somalien, « les pirates des uns sont les gardes-côtes des autres ».
Roody Edmé