Université : la croisée des chemins
L’enseignement universitaire est au centre de moult débats ces
jours-ci. Tout se passe comme si une réflexion profonde finissait par
s’imposer à nous sur les défis à relever pour transformer notre
Université en un outil de changement d’une réalité affligeante. Hélas,
tout ne se déroule pas toujours dans le climat de discussions
fructueuses souhaité par la majorité de ceux qui sont intéressés à un
avenir prometteur pour notre Université. Il y a de ces dérives qui
inquiètent et paralysent la réflexion, une tendance à la polarisation
qui ne permet pas à mille fleurs de fleurir…aux contraires de
s’affirmer. Le récent bras de fer entre des étudiants de l’École
normale supérieure et le rectorat de l’UEH a laissé quelques blessures
mal cautérisées. Et une odeur de souffre subsiste encore, provoquant
quelques réactions nauséeuses dans une ou deux facultés. Des
professeurs respectés avouent leur impuissance face à la déferlante «
extrémiste » qui menace de transformer l’Université en un navire
fantôme abandonné par ses meilleurs cadres.
Dans l’épicentre de ce
débat trop important pour être laissé aux seuls universitaires, il
existe quelques conservateurs qui veulent maintenir dans la naphtaline
un mode d’enseignement éprouvé par le temps, mais largement inopérant
pour nos besoins actuels et quelques jeunes croisés qui, dans leur
flamboyante naïveté, voient partout des ruses néolibérales ; mais il y
a surtout l’ensemble de la communauté universitaire qui souhaite une
Université plus apte à faire face aux défis de taille qui attendent
notre nation et nos élites.
On ne peut donc faire l’économie de
repenser l’enseignement supérieur, de redéfinir les objectifs de nos
différents pôles de savoir, de penser à la formation permanente de nos
enseignants, d’équiper nos facultés à l’instar de n’importe quel centre
universitaire qui se respecte à travers le monde, de calibrer la
formation que reçoivent nos étudiants pour que nos diplômes soient
respectés ailleurs comme ici.
Tout comme il faut se pencher sur «
la vadrouille » universitaire, cette pratique qui consiste pour nombre
d’étudiants à fréquenter chaque année une faculté différente. Se pose
ici le problème du tutorat et de l’encadrement à offrir à nos étudiants
qui sont loin d’être du milieu traditionnel des «héritiers » du savoir
et qui ont des difficultés à s’adapter au niveau universitaire, après
un enseignement secondaire souvent lacunaire.
Que l’on ne nous
fasse pas dire que tout va mal à l’UEH, nous sommes de ceux qui
reconnaissent les efforts déployés par nombre d’enseignants, de doyens
qui travaillent avec un maigre budget et qui ont dédié leur existence à
la vie universitaire dans leur pays, alors qu’ils pourraient trouver oh
combien mieux ailleurs.
Mais ceci ne nous dispense nullement de
notre responsabilité à parler d’une réforme dont on ne saurait faire
trop longtemps l’économie. Ceux qui refusent d’en parler travaillent à
terme contre leurs propres intérêts. Et l’on continuera à voir notre
Université se réduire progressivement en un pot de chagrin au profit de
celles de pays voisins, le nombre de « réfugiés du savoir » grandir
dangereusement et nos cris habituels de nationalistes éplorés n’y
feront rien.
Le relèvement de l’enseignement universitaire est une
nécessité qui n’échappe pas heureusement à l’ensemble des acteurs, il
s’agit simplement pour tous d’accorder les violons sur les grands axes
de ces transformations qui protégeront les quelques acquis, tout en
apportant les changements nécessaires pour atteindre les objectifs de
qualité qui figurent sur les feuillets de nos différents colloques.
Force doit rester, dans ce domaine stratégique pour notre avenir de
nation, à l’arme de la dialectique, à la confrontation d’idées où doit
tout le temps prévaloir le « bien universitaire commun ». Loin des
procès en sorcellerie ou toute forme de dogmatisme iconoclaste, il
s’agira d’établir les passerelles pour une Université haïtienne libérée
de ses pesanteurs et à la hauteur des attentes nationales.
À ce
propos, l’inauguration de l’Institut de gestion de la Francophonie est
un plus pour l’enseignement universitaire dans notre pays. Cet Institut
de haut niveau fera d’Haïti une destination universitaire pour toute la
francophonie et ne manquera pas d’avoir un effet positif d’entraînement
sur l’ensemble des modules de formation dispensés dans nos facultés
publiques et privées.
Une commission travaille au rectorat sur
des propositions pour une réforme à mettre en place au sein de l’UEH en
vue d’un enseignement, nous a confié un participant, conforme aux
aspirations de notre jeunesse et du pays tout entier. Il reste à l’État
d’apporter son support au travail de ces commissaires et, au Conseil de
l’Université, de les encadrer et de diffuser sur l’ensemble de la
communauté les résultats de leurs travaux.
Car toute réforme a
besoin pour survivre d’être appropriée par ceux qui sont chargés de la
faire vivre. Et, dans un espace vite transformé en champ de mines
politique, il faut se garder de tout passage en force. Le plus urgent
consiste à faire bouger les lignes et à mettre en place au sein de
l’UEH ce dialogue que l’on réclame pour l’ensemble de la société. Le
reste n’est que vaniteuse victoire et triomphalisme creux qui ne fait
que retarder l’horlogerie de la prochaine explosion contestataire. Et
les « agités du bocal » suffoqueront du manque d’air qu’ils auront
eux-mêmes créé.
Nos centres supérieurs privés se cherchent aussi une
voie nouvelle. L’Université Quisqueya en plus d’accueillir d’importants
colloques sur la gouvernance universitaire se fait fort de servir de
lit à de multiples débats sur des questions constitutionnelles ou sur
les rapports État Société civile. N’est-ce pas la responsabilité de
l’Université de penser entre autres nos rapports institutionnels. Le
Matin a été invité le 29 mars à la cérémonie de collation de diplômes
de la vingt-cinquième promotion de l’Université GOC. En dehors du
rituel habituel qui sied à ce genre d’événement, nous avons retenu ces
distinctions accordées à des Haïtiens qui ont, d’une façon ou d’une
autre, marqué notre société par leurs travaux : Marc Bazin, économiste
incontournable de ces quarante dernières années, Dejean Bélizaire, une
figure remarquable du génie civil en Haïti et Claude Prepetit, « homme
de vigie » de notre environnement en péril.
Il y a dans cette
démarche, selon ce que nous a confié Me Hérard, secrétaire général du
GOC, une volonté non seulement d’honorer des personnalités du monde
scientifique haïtien, mais d’offrir à nos jeunes des « modèles » de
réussite professionnelle. Le président et fondateur du GOC, le Dr Fritz
Olivier, a, dans son allocution, plaidé pour la mise en place de
mécanismes de prêts pour les étudiants aux fins de favoriser
l’inclusion d’un nombre grandissant de jeunes dans la communauté
universitaire. Me Hérard croit qu’un enseignement privé, qui respecte
les exigences étatiques et les standards internationaux, est un «
service public ».
La crise de notre Université est sérieuse mais
grosse d’opportunités ; des chantiers s’ouvrent pour la transformer, un
jour peut-être en « phare » du savoir universitaire dans la Caraïbe.
Pourvu seulement que nous sachions éviter la tour de Babel.
Roody Edmé