Constitution : sortir du fétichisme
Notre constitution a vingt-deux ans. Il y a deux décades, c’était un
beau bébé plein de promesses et qui augurait de belles années. Le
peuple s’était habillé tout en blanc pour l’accueillir sous les fonts
baptismaux. À l’époque, on croyait qu’il suffisait que l’on consigne
sur du papier timbré nos vœux d’une nouvelle république pour que
celle-ci émerge comme par enchantement de la longue nuit totalitaire.
Comme
toujours, après les longues traversées du désert, écrasés sous le
soleil absolutiste de dirigeants mégalos, les peuples se précipitent
sur quelques patriotiques symboles comme des assoiffés sur des mirages.
Nous n’avons pas échappé à cette course aux mirages, hagards et
étourdis par la chute soudaine de la dictature. Et le bel exercice
inoubliable qui donna naissance à la loi mère était un magnifique joyau
qui ne dépareillait nullement dans l’écrin de notre démocratie
naissante.
Vingt-deux ans plus tard, la charte de 1987 est encore
belle, mais souffre terriblement dans son corps meurtri de tous les
viols subis au cours des ans et aussi de nombreux handicaps accumulés
en raison de l’indifférence crasse de ceux qui devraient en prendre
soin. D’ailleurs pourquoi en serait-il autrement quand on observe ce
qu’il est advenu de notre environnement, du nombre encore insoutenable
d’analphabètes en dépit de quelques efforts concertés et encore
récents, de nos trop nombreux problèmes de santé qui font que l’arrivée
prochaine du navire-hôpital américain constitue un véritable événement.
Et alors, que dire ou que faire d’une pauvre constitution dans un pays
où nous avons toujours croisé le fer et prioriser la baïonnette sur le
papier.
Qui s’est préoccupé de rédiger ou de voter les quelques
décrets d’application qui auraient rendu fonctionnelle la loi-mère ?
Combien d’entre nous ne la célébraient que pour mieux la violer ?
Combien l’ont invoquée comme une déesse quand elle pouvait sauvegarder
leurs intérêts et l’ont royalement méprisée quand ils avaient pour eux
la force.
Aujourd’hui, elle compte encore des partisans sincères
qui ont combattu pour les promesses salutaires de décentralisation
qu’elle renferme, des droits garantis de la personne et des structures
participatives sans précédent dissimulés dans le tissu de ses nombreux
articles, mais il y a aussi de faux dévots et des tartuffes qui ne s’en
soucient que comme cheval de bataille politique. D’autres, dont la
logique est difficile à comprendre, affirment péremptoirement que la
constitution est grabataire, mais il ne faut rien tenter pour la
remettre sur pied, laissons la dépérir et mourir de sa belle mort, ce
sera son destin. Ils oublient du coup qu’il y a un pays qui a besoin
dans la pratique de fonctionner et de poursuivre la mise en chantier
d’une république inachevée…Une autre catégorie croit encore qu’il
suffirait, comme Jésus Christ à Lazare, de lui dire « Lève toi et
marche », pour que la constitution soit d’application comme par magie.
Beaucoup
de spécialistes, de femmes et d’hommes politiques ont diagnostiqué son
mal. Nombreux sont ceux de bords politiques différents qui ont relevé
ses incohérences, ses paradoxes, ses confusions sémantiques battues
dans la forge solaire et revendicative de l’été 86. Les constituants,
portés par leur élan patriotique, ont produit un texte remarquable de
générosité à la hauteur des aspirations du moment, mais qu’il fallait
adapter, améliorer et peaufiner. Au lieu de cela, une certaine
mentalité magique a tendance à conférer au texte constitutionnel des
vertus éternelles et immuables qui risquent à terme de nous maintenir
dans un « trou ron san fon », un véritable labyrinthe institutionnel
avec un carambolage d’échéanciers électoraux, sans parler de la
symphonie inachevée que constituent les Casecs et Asecs, un peu
abandonnés à eux-mêmes…les fantasmes « architecturaux » que
représentent du moins pour le moment les précieuses assemblées
communales et départementales.
Toujours est-il que, pour la
maintenir à flot, l’actuelle constitution devra être lestée de ses «
virtualités problématiques » et devenir plus opérationnelle et moins
coûteuse sur le long terme. On ne pourra pas indéfiniment financer
notre démocratie avec l’aide externe sous peine de nous retrouver tous
les six mois dans une impasse institutionnelle avec pour corollaire une
paralysie des pouvoirs.
Heureusement que l’Exécutif s’est gardé de
toute fuite en avant et semble prendre le temps nécessaire pour convier
tous les secteurs à parler de la réforme constitutionnelle. Il faut se
donner le courage de débattre de tous les problèmes et de chercher à
atteindre le plus petit dénominateur commun, dans le respect des
opinions contraires.
La peste de l’intolérance n’est pas l’apanage
d’un quelconque pouvoir ; son germe est actif sous les préaux
d’université, dans un hémicycle parlementaire ou dans des prétoires
au-dessus de tout soupçon. Le traitement de cette pathologie sociale
devra être collectif.
La question constitutionnelle peut être
l’occasion d’une réflexion de fond sur les grands équilibres à établir,
sur les pouvoirs conférés aux institutions et le rôle des acteurs en
démocratie.
C’est le seul moyen d’éviter que le songe d’or du 29 mars 1987 ne sombre complètement dans la fange.
Roody Edmé