Au-dela de la politique ...
Le Courrier international du 3 au 15 février a consacré un numéro
spécial au retour probable des « bons sentiments ». Après les années
1980, les « années fric », nous dit dans son éditorial Philippe
Thoureau-Dangin, on en est venu à l’époque des performances quel que
soit le prix.
L’usage abusif de stéroïdes lors de compétitions
olympiques jette une lumière crue sur des pratiques déloyales au nom de
victoires que justifieraient tous les moyens. Les années 90 ont été les
années de l’efficacité où l’on a mis les équations mathématiques au
service de profits risqués. Une logique de casino s’est peu à peu
imposée sur les philosophies d’action sociale du 20e siècle. Un monde
feutré et robotisé a pris la place de celui qui, à l’époque de Camus et
de Sartre, se questionnait sur l’existence et surtout sur le sens de la
vie. La mort des idéologies, si elle a rendu l’homme plus pragmatique,
a ouvert la voie à une pensée aux « ressorts mécaniques » et centrée
sur la profitabilité.
La loi du plus fort, qui est une vieille règle
de notre humaine condition, a pris les habits neufs des nouvelles
technologies, se parant ainsi d’une redoutable efficacité.
Les «
armes intelligentes » chez les puissants et la « bombe humaine » chez
les croisés du terrorisme ont plongé l’humanité dans un nouvel «
absurde » et banni tout sentiment de compassion et d’empathie assimilé
à de la faiblesse. Il s’est agi de transformer l’homme en une véritable
machine à détruire les cibles et à engranger du profit par tous les
moyens.
Les gladiateurs du nouveau siècle se retrouvent aujourd’hui
dans toutes les strates de nos sociétés, n’épargnant nullement les
jeunesses du monde qui renouent de plus en plus avec les lois du « Klan
». Le « no rules » est devenu une pratique prisée et célébrée au
détriment du civisme et de l’empathie réservée aux «faibles » et aux
fainéants. La vie devient pareille à ces jeux cruels de télé réalité où
l’on élimine ceux qui ne savent pas survivre dans la nouvelle jungle
cathodique.
La crise est l’occasion d’une redéfinition de nos
rapports avec autrui…et de réintroduire du sens dans notre vie. Contre
la toute puissance d’une raison désincarnée, c’est peut-être l’occasion
de revenir à la philosophie et au questionnement des mythes
positivistes. La foi en un progrès économique autonome de tout projet
de solidarité humaine est une mystification idéologique dangereuse pour
la démocratie.
La société haïtienne ne saurait faire l’économie
d’un tel débat, tant cette problématique fait corps avec notre avenir
en tant que nation. L’absence de consensus comme un minimum vital met à
mal notre projet de « nation building » et ruine toute aspiration au
bien commun.
Certaines initiatives de la société civile comme
celle déroulée ce samedi 13 mars à l’Université Quiqueya, sont un bon
début pour un dialogue contradictoire et productif autour du « que
faire » pour Haïti. C’est une première passerelle jetée sur le gouffre
immense de l’incivilité et de la méfiance qui mine nos rapports
sociaux. Il n’est pas dit que les valeurs de respect mutuel et de
solidarité soient l’apanage exclusif de quelques bonnes âmes en
sandales.
« L’ultimate fighting » en politique et dans les rapports
sociaux, sans la médiation institutionnelle, ne peut conduire qu’à une
société où nous serons tous « mò rèd depi o pa » comme des gamins
insouciants dans une partie de billes «tout vis tout kondisyon ».
Roody Edmé