Quand Haiti parle au monde
La visite du Secrétaire général des Nations unies et de l’ex-président
Bill Clinton – bientôt suivie par celle d’une délégation du Conseil de
sécurité de l’Onu – est venue placer notre pays au premier plan d’une
actualité moins tragique que d’habitude. D’abord, disons que la
situation extrêmement fragile de notre pays semble encore une fois
solliciter fortement une communauté internationale aux prises avec ses
propres problèmes, mais tout de même alertée par la fragilité de la
situation haïtienne. Toujours est-il que le ton a changé vis-à-vis
d’Haïti et que ,depuis le rapport Collier, cet économiste qui a relevé
le potentiel endormi de notre pays, on semble ne plus désespérer du cas
haïtien et que les amis d’Haïti se mettent à voir dans notre pays un
lieu de tous les possibles. Pour une fois qu’on ne nous voit pas comme
le pays le plus pauvre, le laboratoire du sous-développement et tutti
quanti, tout devient différent.
Dès qu’on s’éloigne des clichés et
des étiquettes qui stigmatisent, on peut relancer la coopération avec
notre pays sur de nouvelles bases et travailler dans un esprit positif
et progressiste à la mise en place du changement qui tarde depuis trop
longtemps.
Il était temps que le courage et la détermination de ce
peuple, affecté par toutes sortes de désastres économiques et
écologiques, soient reconnus, que l’on cesse de le juger à l’aune des
calculs à courte vue de quelques politiciens et du déficit de civisme
qui ronge depuis quelque temps une société frappée par la peste de
l’intolérance qui nuit même à la végétation.
À ce titre, la visite
de ces deux personnalités, interprétée à qui mieux mieux au gré des
intérêts des uns et des autres, peut être le prétexte à un nouveau
départ pour l’ensemble de ce peuple et à des relations internationales
décomplexées de notre pays avec le monde extérieur. Il peut être aussi,
pour l’Haïtien, l’occasion de changer son regard sur lui-même et
prendre à bras le corps son destin.
En vérité, certains éléments
contenus dans le rapport Collier ont été déjà mentionnés par des
économistes haïtiens, mais il est pédagogique que cela soit dit par un
étranger pour nous renvoyer une image extérieure de nous, loin du
discours dévalorisant qui a pignon sur rue dans les colonnes d’une
certaine presse, étrangère et hélas locale, jamais en panne
d’expressions sommaires et faciles nous concernant. En acceptant les
défis qui s’imposent à nous et en nous attaquant résolument à nos
problèmes, nous pourrons étonner le monde et faire mentir un destin
funeste.
Il reste au gouvernement à saisir le manche par le bon bout
et à insuffler un certain volontarisme à ses actions sur le terrain que
l’on a du mal à percevoir tant il y a faire et tant l’appareil d’État
paraît dangereusement figé. Pour sortir du cercle vicieux de
l’humanitaire, il faudra un plan audacieux de relance d’une économie
qui se meurt sous le poids des catastrophes naturelles et des séismes
politiques tellement ponctuels qu’ils deviennent une marque de fabrique
de la gouvernance haïtienne.
Si le président Clinton affirme que le
futur des Haïtiens peut être meilleur que leur passé, il y a là une
parole rafraîchissante qui n’est pas tombée dans l’oreille de sourds,
mais qui doit être appropriée par les Haïtiens eux-mêmes dans une
perspective de transformation de leur avenir. Un avenir à construire
dans la concertation critique, mais surtout avec détermination, loin de
l’immobilisme séculaire des pouvoirs publics trop habitués aux affaires
courantes. Le président de la République a parlé de la création de la
Commission sur la compétitivité comme un gage de son engagement à
encourager les investissements dans notre pays, c’est de bonne guerre,
mais toujours est-il que les actions de ces Commissions devront
progressivement éclairer l’opinion sur sa « sa kap fet ». On a besoin
de savoir comment avancent les travaux des Commissions et la
coordination qui s’établit avec les ministères pour, lentement mais
sûrement, changer notre horizon politique et économique, même s’il ne
s’agira que d’une amorce d’un grand plan stratégique sur le long terme.
Un plan qui devra être conçu en interaction avec une opinion publique
qui souhaite dire son mot sur l’avenir d’Haïti.
Il n’est nullement
recommandé de laisser morne et désespéré le paysage médiatique qu’il
faut surtout alimenter d’idées nouvelles et porteuses, sinon la déprime
peut se généraliser et l’espoir de changement noyer dans l’illusion
d’une nouvelle déferlante déstabilisatrice.
Quant au leadership
haïtien privé et public, l’heure est venue de tout tenter dans les
faits pour saisir cette nouvelle opportunité et « placer notre pays sur
une trajectoire de développement durable » comme le souligne un
communiqué conjoint signé par le président Préval et le secrétaire
général de l’Onu, communiqué que l’on voudrait éloigner de la langue de
bois diplomatique.
Roody Edmé