FAIRE DE LA CRISE UNE OPPORTUNITÉ ...
Alors
que dans la ville on attend avec une certaine fébrilité la nomination
de la nouvelle équipe qui va assurer les destinées de l’entreprise
Haïti, et que les uns et les autres craignent les tractations
politiques qui, à la mode de chez nous, finissent toujours par profiter
à quelques chapelles, des dirigeants politiques engagés dans les
négociations au palais de la Présidence interviennent dans la presse
pour nous faire comprendre que « les cerisiers seraient mûrs » au
sommet de l’État.
Et que, plus qu’un conclave pour désigner un
nouveau « pape » pour la Villa d’accueil, il s’agirait d’un véritable
concile qui annoncerait des changements majeurs pour l’avenir du pays.
Le lecteur sceptique pourrait se demander d’où me vient ce nouveau
chant d’espérance.
Il paraît, selon des sources proches des
négociations, qu’au lieu de faire le plein de postes ministériels, pour
l’heure, nos actuels et futurs dirigeants auraient d’abord « vidé leurs
sacs » dans un exercice de thérapie politique, encore sous le choc de
la colère populaire qui a vu le pays s’ouvrir sous nos pas en l’espace
de quarante-huit heures.
L’ancien Premier ministre Jacques Édouard
Alexis se serait même plié de bonne grâce à cet exercice d’autocritique
en relevant sereinement les couacs qui ont fait grincer sa machine
gouvernementale, et l’épineuse question de cohésion d’un cabinet
pluriel aurait été aussi abordée. L’homme souhaiterait assumer jusqu’au
bout ses responsabilités en affrontant en personnage d’État son destin
et en contribuant à une passation honnête de leadership. Il semble
s’agir pour lui de compter dans l’Histoire et de ménager sa monture
pour le futur, après avoir été désarçonné par des adversaires bien
servis par une crise à la dimension planétaire.
De tout cela il est
ressorti l’adoption du DSNCRP, (Document de stratégie nationale pour la
croissance et la lutte contre la pauvreté) comme base d’un programme
national de départ à compléter en tenant compte des défis liés à la
production nationale. La question de la réforme de l’État aurait aussi
été esquissée. Le défi que le président voudrait relever serait la mise
en place d’une coalition effective qui saurait éviter les pannes liées
à une gouvernance chaotique, ballottée au gré des intérêts.
Comment
trouver la formule de cette cohabitation à l’haïtienne sans revenir au
moins sur le moyen terme sur les idées de dialogue et de conférence
nationale ? Pour le moment, sous les lambris du Palais national, on
débat enfin de l’institutionnalisation de la démocratie haïtienne après
que les partis politiques eurent affiché une faiblesse certaine au
Parlement.
Les partis politiques doivent battre la campagne pour
ramener au bercail leurs élus et la plateforme Lespwa n’est pas en
reste. Ce regroupement politique, qui triomphait il y a deux ans,
rappelle un vaisseau fantôme difficile à ramener dans l’orbite du
Palais national.
Par pédagogie, le chef de l’État aurait évité de
faire porter les discussions sur une personnalité qui, à en croire les
interventions dans la presse, devrait avoir des qualités de spartiate
et la sagesse d’un bonze. Il chercherait plutôt à travailler sur le
moyen terme en revenant à son idée de départ de gouvernabilité sur le
long terme qui n’a jamais vu malheureusement le jour.
Toute chose
qui garantirait la stabilité d’un pays qui, pour l’heure, est d’une
fragilité de porcelaine. Après avoir paré au plus pressé, c’est-à-dire
le choix du Premier ministre, il faudra étendre les consultations à
l’ensemble des autres secteurs qui devront jouer le rôle d’observatoire
critique du projet national en gestation.
Autour de la table de
conférence du Palais national se joue une « partie de cartes » dont
l’enjeu est l’avenir d’Haïti, et les acteurs principaux sont les «
héritiers » du mouvement de 86 qui culbuta la dictature...Sauront-ils
inverser les lourdes tendances de notre démocratie en mal
d’institutionnalisation?
La Maison nationale que la houle coléreuse
d’une foule a failli emporter sera-t-elle désormais le symbole respecté
de la confiance retrouvée dans la légitimité démocratique ?
Les
responsables politiques semblent faire preuve d’un sang-froid qui
aurait pris la mesure de toutes les conséquences de la crise. Mais, il
faudra attendre le pourvoi des postes ministériels pour tester le «
patriotisme » des uns et des autres. L’opinion publique souhaite, au
bout du processus, la transparence que seuls des documents écrits
pourront valider sur le modèle d’un pacte de gouvernement pour le
sauvetage national.
Reste à gérer pour le mieux les « glaciers
errants », ces nouveaux regroupements détachés des blocs connus au
Parlement sous l’effet du réchauffement dramatique du ...climat
politique et contre lesquels le processus actuel risque de se
fracasser. En attendant, le chaudron social n’est que refroidi et les
pyromanes ne manquent pas.
Roody Edmé