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L’école
haïtienne est malade et ce n’est pas une nouvelle. Elle souffre d’un
grave problème de définition et son rôle et sa mission demeurent dans
un flou artistique complet. Depuis que l’État lui-même est devenu
fantomatique, et cela ne date pas d’hier, l’École de la République
n’est que l’ombre d’elle-même, une coquille vide sur les eaux démontées
d’une société chaotique. Une usine dont la machinerie désuète est
envahie par la houille et qui fabrique de la pacotille. Mais
comparaison n’est pas raison, car, dans le cas qui nous concerne, il ne
s’agit pas de produits textiles, mais de filles et de fils à former
comme nous le chantons chaque matin dans notre hymne national.
La
question d’adapter l’école aux défis de l’heure dépasse nos frontières.
Toute proportion gardée, la France, elle aussi, constate avec
appréhension que l’illettrisme gagne du terrain et qu’environ 300 000
enfants arrivaient au secondaire sans savoir bien lire. Un confrère du
Nouvel Observateur notait que les dernières réformes introduites en
cascade avaient accentué le mal-être et que les débats « théologiques
entre méthode globale et méthode syllabique » étaient autant
d’exercices en futilité par rapport à la réalité du terrain qui
rappelle un véritable bourbier pédagogique. Dans l’Hexagone, de plus en
plus d’enfants écrivent dans une langue ponctuée « à la diable, bourrée
d’abréviations venues du langage SMS ». Toujours selon l’enquête de nos
confrères du Nouvel Obs. qui ont rencontré un large échantillon de
professeurs du primaire, les abréviations comme « A 12C4 » ou « TEOU »
: lisez, « à un de ces quatre » ou « t’es où ? » font fortune et des
enseignants croient que, pour se faire entendre de leurs élèves, il
faut dans certains quartiers parler « banlieues ».
Le linguiste
Alain Bentolila de passage chez nous, aux temps bénis de l’Institut
pédagogique national (IPN), a réalisé un diagnostic précis de la
situation dans un ouvrage intitulé : « Urgence école : le droit
d’apprendre, le devoir de transmettre ». À Port-au-Prince, lors
d’une conférence à la Fondation Culture Création vendredi dernier, le
poète Georges Castera se posait la question si les nombreuses
transformations subies par le créole à la faveur des mutations sociales
de ces dernières années et spécifiquement reflétées dans le Babel
médiatique ne constituaient pas à terme une menace pour l’apprentissage
d’une langue où l’on s’autorise toutes les libertés.
Au centre du
débat gît la problématique de l’école haïtienne à construire au-delà de
tout intégrisme linguistique dans le sens des intérêts bien compris de
ce peuple, en s’éloignant des rives du folklorisme, du parler simplifié
qui ferait plus « peuple ». Dans ce contexte, la création du
COSPE, un regroupement d’associations et de fédérations d’écoles
privées qui se propose d’améliorer les offres en matière d’éducation et
de participer, dans un partenariat stratégique avec l’État d’Haïti, au
renouveau de l’École haïtienne est une initiative rafraîchissante.
D’autant qu’il s’agit, à en croire les assises du 4 octobre dernier à
El Rancho, de renforcer la gouvernance étatique, tout en assumant qu’un
secteur privé, réglementé et respectueux des normes, ne peut qu’aider à
la transformation d’un système éducatif devant être le socle de l’État
républicain.
Le philosophe Jacques Billard disait que l’école est à
la nation ce que la constitution est à l’État : sa raison. Car, en son
fond, en citant Platon, l’homme est une cité en réduction et la cité
est un homme en grand.
Roody Edmé
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