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AILLEURS VU D'ICI (depuis Haïti)
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  • Un blog d'analyse de l'actualité en Haiti et à l'étranger - des sujets en rapport avec l'Afrique seront aussi abordés. Certains textes ayant rapport avec les littératures du monde seront aussi traités.
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1 août 2007

" LE VIEIL ET LA MER "


Global Voices en Français

Je prends toujours plaisir à rencontrer, à chacune de ses visites à Port-au-Prince, ce passionné des mers solitaires qu’est Claudy Craan, navigateur de son état.

Ce natif de Jacmel n’est pas un néophyte en matière de biodiversité et s’alarme à juste titre du lourd déficit que nous accumulons depuis trop longtemps dans ce secteur.
Son constat, qui est pourtant une vérité de la Palice, sonne lourd de conséquences : la déforestation entraîne l’érosion qui, elle, tel un cancer virulent, se métastase dans la mer.

C’est vrai que, dans ce domaine, il n’y a malheureusement rien de nouveau sous le soleil. Déjà en 1910, Georges Sylvain rapportait que le gouverneur de Saint-Domingue obtint du roi Louis XV qu’il révoquât le privilège accordé à la famille Choiseul de couper les bois des îles de la Gonâve et de la Tortue saignés à blanc par une exploitation éhontée. Dans ce même article, qui nous est révélé par le chercheur haïtien Jean Desquiron, Sylvain constatait tristement que des centaines de sapins du morne La Selle gisaient sur le sol et s’indignait vivement de ce gâchis.

Militant impénitent pour la sauvegarde de l’environnement, Claudy Craan adore parler de ce qu’il constate à chacune de ces explorations de nos fonds marins. De moins en moins de bancs poissonneux et un grand bleu qui vire lentement au gris couleur de cendre et de mort. Comme si la montagne et la mer communiquaient dans la même désespérance.

Celui qui pourrait être notre « commandant Cousteau » si nous étions en pays moins démuni … signale avec amertume la disparition de certaines espèces sous-marines vitales pour la régénération de nos fonds marins. Il pointe un doigt accusateur sur les éboulements venus de nos montagnes non protégées qui finissent leur course dans la mer et qui tuent par asphyxie les rochers coralliens : ces poumons de la mer. Ces mêmes coraux qui sont aussi les géniteurs des îles et continents. Craan parle avec abondance de l’algue bleue d’où serait tirée la gélule de spiruline et dont Haïti serait l’un des rares pays à produire encore cette espèce rare.

Claudy Craan croit qu’il faut une campagne d’éducation de l’Haïtien autour de la richesse de notre biodiversité. Il pense qu’on peut, qu’on doit arrêter l’hémorragie. Son cri tragique, pareil à celui évoqué par le célèbre tableau d’Edvard Munch, fait écho à l’article de Jean-Marie Bourjolly à propos de la Grand’Anse, une de nos rares réserves vertes dont la sève est dangereusement asséchée par des massacreurs de forêts et des pratiques suicidaires de « survie ».

Toute inversion de cette lourde tendance passe donc par un effort de la société entière et des politiques publiques luttant efficacement contre les formes malignes de précarité qui prennent la paysannerie à la gorge. Car à quoi bon reboiser d’une main si l’on déboise à tour de bras de l’autre. Au moment où l’OSAM tente de désamorcer « la bombe écologique » du morne l’Hôpital, en d’autres lieux de la ville se dresse les premières maisonnettes de populations chassées par la misère et qui revendiquent le moindre espace vital et vivable.

On ne pourra pas construire l’État de droit que nous souhaitons sur une île déserte et une mer morte. Nous pouvons, dans ce domaine stratégique, nous faire aider de l’expertise cubaine, de l’encadrement et de l’équipement des Guadeloupéens qui jouissent d’une bonne longueur d’avance quant à la protection des récifs coralliens et la gestion durable de la pêche. On ne peut donc aujourd’hui s’affranchir d’une réflexion suivie d’action autour de l’évolution de la diversité biologique intégrant des migrations éventuelles des espèces, y compris humaines. À ce propos, le « corridor biologique » qui nous lie à l’est risque de n’être qu’une voie de passage pour les migrations de nos espèces halieutiques vers des mers ou des forêts plus hospitalières, si, de ce côté de l’île, on n’agit pas vite.

Malgré tout, notre interlocuteur ne croit pas en un « déterminisme écologique ».Il pense que les Haïtiens peuvent changer la donne. Quoique sévère dans son jugement, il refuse de déverser sur d’autres des flots de fiel d’autant plus amers qu’ils sont injustifiés. Les uns et les autres ne sont pas condamnés à reproduire le passé. Au lieu de souffler sur les braises du populisme, amplifions la douce brise qui nous vient des montagnes de Value. Surtout rendons plus clean le débat d’idées.

Roody Edmé

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