LE MONDE HALLUCINANT
Un roman hallucinant où l’écriture est une véritable aventure, telle
est la première impression qui se dégage à la lecture de ce roman à succès de
l’écrivain cubain Reynaldo Arenas. Il s’agit d’une œuvre on ne peut plus
ouverte, un récit d’aventures où le rêve, l’imagination, atteignent des proportions
insoupçonnées. Arenas s’est permis toutes les audaces à travers une narration
qui ne cesse de rebondir et de surprendre le lecteur.
Au fil des pages on est frappé par la grande variété des situations,
des descriptions et des métamorphoses que subissent les personnages. Des
célébrités de l’histoire et de la littérature apparaissent sous un angle jusqu’ici
inconnu. L’auteur se joue de tout. En véritable créateur, il refaçonne le monde
et nous laisse voir les hommes à travers un prisme déformant et il ne se lasse
jamais à ce petit jeu d’une rare fantaisie. Arenas semble s’inscrire dans la
lignée de ces écritures romanesques qui avancent par rebondissements et qui
nous introduisent dans le monde du culte des mystères.
En 1915, Kafka fait paraitre la Métamorphose. Un récit qui analyse le résultat de la métamorphose de Grégor en
insecte : dégradation lente du héros, peu à peu marginalisé par sa famille
et entrainé dans la mort. C’est la frontière entre une apparence animale et une
psychologie humaine qui constitue chez Kafka le ressort du texte. Reynaldo
Arenas mourant, le visage défiguré par le Sida, loin de son Cuba natal et pris
au piège de l’exil dans son appartement de Manhattan a lui aussi avant de
mettre fin à ses jours connu sa « métamorphose ».
Le personnage de son roman, Fray Servando, religieux dominicain, vit
dans sa chair l’histoire tumultueuse de son pays, le Mexique. Il s’est enfui de
sa terre natale pour avoir contredit le message officiel de l’église sur
l’apparition de la vierge de Guadalupe. Et de là commencent les aventures de notre
héros et sa découverte de la véritable nature humaine. Certains écrivains ont
leur destin qui ressemble à leurs
personnages. Arenas lui aussi a été sévèrment puni pour avoir contredit les
dogmes d’une autre « église » et de s’être dérobé à
certaines « messes idéologiques ».
Des trahisons (qui se cachent sous les intentions les plus généreuses)
à l’hypocrisie des clercs et à la luxure
qui règne dans les milieux les plus respectables des hautes sociétés européennes,
tout y passe dans cette oeuvre-testament et nous porte à toucher le fond de la
condition humaine.
Le talent d’Arenas réside dans
sa manière de mettre son imagination au service d’une vérité toute philosophique
: l’absurdité du monde. D’où le caractère « fantastiquement réaliste » de son
roman. Après tout le réel n’est-il pas aussi le sensible, l’exposé de l’inconscient,
et le roman un genre qui fait rigoureusement ce qu’il veut...un « super
genre » qui présente un monde remodelé par le regard du créateur.
ROODY EDME