“ TOUT EST LANGAGE ”
Le dernier Immigré Arabe – en réalité un Berbère vient de quitter le
sol français ce matin. Le premier ministre ainsi que le ministre de
l’intérieur se sont déplacés pour assister à ce départ … il reçoit
comme cadeau un chameau en peluche et un petit drapeau bleu, blanc,
rouge ». C’est ainsi que débute un extrait de la dernière fable inédite
de Tahar Ben Jelloun publiée dans ‘‘Le Monde Diplomatique’’ de ce mois d’août 2006.
Avec
le départ de M. Mohamed Lemmégri, la France ne « sera plus dérangée par
les odeurs de cuisine trop épicée, elle ne sera plus envahie par des
hordes de gens aux coutumes étranges ». Et chacun dans l’Hexagone d’y
aller de sa rhétorique ‘‘anti-beurr’’. Seule l’extrême droite déprime …
elle ne peut plus bouffer de l’arabe et n’a plus
de cheval de bataille pour les élections. Des militants radicaux crient
« La France n’est plus ce qu’elle était ! il lui manque le petit
épicier arabe ! ». Pourtant, tout le monde était content de ce nettoyage
ethnique plutôt pacifique. Le ministre de l’intérieur aurait même
déclaré : « La France a enfin tourné cette page écrite en algérien ».
Mais attention, un certain manque commence à s’installer : plus de
personnel infirmier, l’aéroport de Roissy est paralysé, les salons de
coiffure transformés en boutique de téléphonie. Il y a bien une
tristesse dans l’air, comme une sorte d’amputation. Les citoyens
apprennent, comme au bon vieux temps à travailler, sans avoir recours
aux Maghrébins. Seulement, soudain des journalistes à la télévision et
à la radio ont des blancs dans leurs phrases … des trous. Des manques.
Dans la presse écrite, on s’échine à faire des périphrases pour
remplacer ces mots partis avec les expulsés . Le vide commence á
s’installer dans un Paris travesti et la tour effel, comme dirait le
poète ne reconnait plus son troupeau.
La
France entière donne sa langue au chat Maghrébin. Des pages entières du
dictionnaire ont disparu. Il y a des blancs partout au propre comme au
figuré. On se réunit en conclaves pour discuter de ce mal linguistique,
les journaux affichent des titres comme « La France bégaie ». Les
‘‘déclinologues’’ de la presse parisienne avaient paraient-ils prévu ce
nouveau spleen.On ne peut plus parler dans les médias de l’exception
francaise et certains boulevards du Paris jadis multiculturels sont
aussi tristes que Venise á l’heure ou les amoureux se séparent.
Et
alors, vient enfin un sursaut hugolien : « La France ne supportera pas
que sa langue soit amputée ! dit un ministre qui peinait sur une page
des mots fléchés ». Le linguiste Alain Rey appelé en consultation
diagnostiqua le mal : « un mot n’appartient à personne en particulier ;
un mot n’est vivant que s’il est utilisé ; des mots ont disparu ou sont
tombés en désuétude parce que plus personne ne s’en servait ; le
problème est malheureusement politique et pas linguistique … il s’agit
de faire en sorte que la langue retrouve la paix de son existence et
rejoigne les dictionnaires, les romans, les conversations quotidiennes,
car les mots absents sont des mots quotidiens … ». La patrie était donc
en danger, à force de vouloir trop se purifier, la France s’est purgée
d’elle-même. Le mauvais temps de l’inquisition a amené bien des
malheurs, la France parle par périphrase. Alors, le président de la
République décida de monter au créneau. Écoutons : « Françaises,
Français, Mes chers compatriotes, … Assalam Alikoum ! Oui, vous avez
bien entendu ! Assalam Alikoum cela veut dire la paix sur vous … la
France a commis une injustice grave ! Après le 11 Septembre, certains
ont dit : « Nous sommes tous des américains ! Moi, je dis aujourd’hui :
‘‘Koulouma arab’’. Nous sommes tous des arabes. Nous sommes tous
immigrés. Je sais, je ne serai plus réélu. Qu’importe. Je ne me
représente pas. Je rends hommage à la culture arabe, dans l’espoir que
certains accepteront de revenir remettre la France sur pied ». Une
fable rafraichissante de Tahar Ben Jelloun comme on sait en faire aux pays des Mille et une nuit.
Roody Edme